Des débats de la campagne 2012 et des réponses des tribunaux et « ombudsmen » à l’exclusion de chefs

14 août 2012
(No 2012-07)

Les débats de la campagne électorale de 2012 ont commencé et c’est le journal La Presse qui a parti le bal avec la diffusion sur son site électronique d’un premier débat sur le thème de « La santé ». « Le débat des docteurs » a opposé les candidats de quatre partis politiques qui ont en commun d’avoir une formation médicale : l’actuel ministre de la Santé Yves Bolduc (Parti libéral du Québec) et trois autres médecins qui ont, de toute évidence, les compétences requises pour exercer la fonction (Réjean Hébert) (Parti Québécois), Gaétan Barrette (Coalition avenir Québec) et Amir Khadir (Québec solidaire). Je vous invite à visionner ce débat, d’une durée de 26 : 07 minutes, d’un très haut niveau (si ce n’est de l’intervention fort maladroite du Dr Barrette sur la tenue d’un référendum dans le premier mandat dans le cadre de ce débat sur la santé !!!). Le deuxième débat sera diffusé demain le mercredi 15 août 2012 et portera « Les Jeunes ». Il opposera  Léo Bureau-Blouin (PQ), Anson Duran (PLQ), Laurence Fortin (CAQ) et Émilie Guimond-Bélanger (QS). Le troisième et dernier débat concernera « L’économie » et mettra en présence  Raymond Bachand (PLQ), Nicolas Marceau (PQ), Christian Dubé (CAQ) et François Saillant (QS).

S’agissant des débats de chefs, la campagne électorale de 2012 sera l’occasion d’un débat à l’occasion duquel quatre chefs s’affronteront, mais également de trois autres duels de chefs. Depuis le premier « Face-à-face télévisé » des chefs de l’histoire du Québec (et même du Canada) qui avait opposé le 11 novembre 1962 Jean Lesage et Daniel Johnson (père), les choses ont bien changé. Le dernier débat à deux chefs aura été entre Daniel Johnson (fils) et Jacques Parizeau en 1994. Le nombre de chefs a augmenté depuis lors puisqu’en 1998 le débat des chefs a opposé trois chefs (Lucien Bouchard, Jean Charest et Mario Dumont), comme ceux de 2003 (Bernard Landry, Jean Charest et Mario Dumont), 2007 (Jean Charest, André Boisclair et Mario Dumont) et 2008 (Jean Charest, Pauline Marois et Mario Dumont). Le premier débat des chefs de 2012 qui sera télédiffusé le lundi 19 août 2012 à compter 20 h par sur les ondes Radio-Canada, RDI et Télé-Québec aura quatre protagonistes (Jean Charest, Pauline Marois, François Legault et Françoise David). Les quatre thèmes de ce débat qui sera animé par Anne-Marie Dussault et Emmanuelle Latraverse seront l’économie, la gouvernance, la question nationale et les politiques sociales. Trois débats sous forme de duels seront par ailleurs retransmis sur TVA et LCN. Animés par Pierre Bruneau et diffusés à compter de 21 h, le premier opposera Jean Charest et Pauline Marois (20 août 2012), le deuxième Jean Charest et François Legault (21 août 2012) et le troisième Pauline Marois et François Legault (22 août). Les thèmes retenus pour ces trois débats sont : l’économie, de la gouvernance, des politiques sociales, ainsi que de la question nationale et de l’identité.

Exclu du débat des chefs diffusé à Radio-Canada, RDI et Télé-Québec, le chef d’Option nationale et député de Nicolet-Yamaska Jean-Martin Aussant a déposé aujourd’hui le 14 août 2012 une demande d’injonction visant à lui permette de participer à l’ensemble de ces débats. (« Une injonction pour qu’Aussant prenne part au débat des chefs ». « Québec solidaire [s’est dit] ‘’ consterné ‘’ d’être exclu des débats à TVA », mais n’a déposé de recours judiciaire à ce jour. Le parti de Françoise David et Québec solidaire envisageait d’acheter des « spots » publicitaires pendant les trois débats qui seront diffusés sur les chaînes TVA, mais La Presse rapporte aujourd’hui qu’il n’y aura « Pas de pub de Québec solidaire aux débats de TVA ». Lee réseau TVA a ainsi refusé de vendre à Québec de la publicité télévisée en affirmant qu’il « est malheureusement impossible de diffuser dans les occasions précédant et suivant le débat étant donné que TVA ne veut pas se positionner pour un parti ou pour un autre » et « qu’il n’y aurait pas de publicité électorale [, c]e black-out s’appliqu[ant] d’ailleurs à tous les partis sans exception ».

S’agissant de recours judiciaires, plusieurs tentatives d’obliger les télédiffuseurs à inviter des chefs dans le cadre de débats télévisés ont été faites dans les dernières années. J’ai procédé à une recherche jurisprudentielle qui permet de penser qu’il sera difficile pour Jean-Martin Aussant d’avoir gain de cause. S’agissant du Québec, la Cour d’appel du Québec a, dans l’affaire Action démocratique du Québec c. Parti libéral du Québec, 1994 CanLII 5919 (QC CA), examiné une requête analogue à celle que présente Jean-Martin Aussant en ce qu’elle se fonde sur l’article 423 de la Loi électorale, L.R.Q., c. E-3.3 selon lequel :

« Art. 423.  En période électorale, tout radiodiffuseur, télédiffuseur ou câblodistributeur ainsi que tout propriétaire de journal, périodique ou autre imprimé peut mettre gratuitement à la disposition des chefs des partis et candidats du temps d’émission à la radio ou à la télévision ou de l’espace dans le journal, le périodique ou autre imprimé, pourvu qu’il offre un tel service de façon équitable, qualitativement et quantitativement, à tous les candidats d’une même circonscription ou à tous les chefs des partis représentés à l’Assemblée nationale ou qui ont recueilli au moins 3% des votes valides lors des dernières élections générales.»

Dans un arrêt du 24 août 1994 confirmant un jugement de la Cour supérieure du Québec, l’Honorable Jean-Louis Baudouin de Cour d’Appel du Québec siégeant comme juge unique disposera en ces termes l’argument selon lequel « ce texte  [de l’article 423] s’applique dans le présent contexte et veut dire que le consortium des radiodiffuseurs intimés a une  obligation légale de lui étendre l’invitation de participer au débat des chefs et de lui donner donc un temps d’antenne égal à celui des autres » :

 « Le juge de première instance a rejeté cet argument au motif que le débat prévu pour le 29 août est une émission d’affaires publiques, que les diffuseurs sont donc libres d’inviter qui ils veulent à y participer et que l’article 423 précité envisage une toute autre situation. Je suis d’accord avec lui.
L’article 423 lu dans son contexte législatif permet, en effet, à un télédiffuseur de mettre gratuitement à la disposition de partis politiques et de candidats un temps d’antenne pour leur permettre de faire leur propre publicité. Il s’agit donc d’encourager la diffusion de véritables messages publicitaires conçus, préparés et délivrés par le ou les représentants de chaque parti politique, comme bon leur semble. Il ne s’applique manifestement pas dans l’hypothèse d’une émission d’affaires publiques où le débat n’est pas laissé à l’initiative des partis ou de leur chef politique, mais imaginé, élaboré et organisé par le diffuseur, selon un scénario précis où chaque participant est tenu de répondre à des questions formulées par les journalistes et où l’initiative est prise par ceux-ci et non laissé à ceux qui se prêtent à cet exercice médiatique.
Je suis donc du même avis que le juge de première instance à l’effet que le requérant n’a établi aucune apparence de droit dans les circonstances.  Je suis donc également d’avis qu’un pourvoi serait manifestement et clairement voué à l’échec. »

Appelés à statuer sur la base de sur les dispositions de la Charte canadienne des droits ou du Règlement sur la distribution de radiodiffusion du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), plusieurs jugements vont dans le même sens que celui de la Cour d’appel du Québec, qu’il s’agisse des affaires Trieger v. Canadian Broadcasting Corp., (1988), 54 D.L.R. (4th) 143 (ONSC) ou R. c. Société Radio-Canada et autres, [1993] 51 C.P.R. (3d).

Suite à ce dernier jugement, le CRTC adoptait le 15 mars 1995 l’Avis public CRTC 1995-44 dans lequel il statuait en outre que :

« Compte tenu de ce jugement, le Conseil n’exigera plus que ce qu’il est convenu d’appeler des « débats » présentent tous les partis ou les candidats rivaux dans une émission ou plus. Il estime que les titulaires auront satisfait à l’exigence en matière d’équilibre contenue dans la Loi sur la radiodiffusion si elles prennent des mesures raisonnables pour faire en sorte que leurs auditoires soient informés des questions principales et de la position de chaque candidat et parti inscrit à cet égard, généralement par l’entremise de leurs émissions d’affaires publiques. Le Conseil continue de croire que la couverture des nouvelles doit habituellement être laissée à la discrétion éditoriale des radiodiffuseurs ».

Plusieurs autres jugements sont intervenus après l’adoption de son avis public et n’ont pas donné davantage raison aux chefs des formations exclues des débats télévisés : voir Natural Law Party of Canada v. Canadian Broadcasting Corp., [1994] 1 FC 580 1993 CanLII 3005 (FC); 52 CPR (3d) 97; 21 Admin LR (2d) 161; 77 FTR 73, National Party of Canada v. Canadian Broadcasting Corporation, 1993 CanLII 7151 (AB QB) 106 DLR (4th) 568; [1994] 1 WWR 352; 13 Alta LR (3d) 20, confirmé par National Party of Canada v. Canadian Broadcasting Corporation, 1993 ABCA 269 (CanLII), 106 DLR (4th) 575; [1994] 1 WWR 361; 13 Alta LR (3d). Dans cette dernière affaire, le juge de première instance avec lequel les trois juges de la Cour d’appel d’Alberta expriment leur accord affirme :

« [28] In the result, I conclude that the decision of the Canadian Broadcasting Corporation to produce and televise along with its Consortium associates a leadership debate that does not include the participation of the leader of the National Party of Canada is a non-governmental decision and is not subject to Charter scrutiny. I am also unable to accede to the submission that the C.B.C. has acted in contravention of the Broadcasting Act or the Television Broadcasting Regulations, 1987 ».

Voir aussi 29 Gauthier v. Canada (Speaker of the House of Commons), 2006 FC 570 (CanLII) et May v. CBC/Radio Canada, 2011 FCA 130 (CanLII). Dans l’affaire National Party.

Le CRTC a lui-même rendu une décision le 8 avril 2009 relativement à une Plainte relative à un débat électoral télédiffusé par Communications Rogers Câble inc. lors de l’élection provinciale de 2007 en Ontario., le CRTC concluait que « [compte tenu des décisions du Conseil dans l’avis public 1995-44, le Conseil estime que Rogers jouit de la prérogative de fixer les règles et la formule des débats qu’elle souhaite diffuser, et d’en exclure les participants qui, à son avis, ne se conforment pas à ces règles ».

Sur la base de cette jurisprudence et de l’avis public 1995-44 du CRTC, l’Ombudsman du réseau français de Radio-Canada a également statué que le réseau n’était pas dans l’obligation d’inviter les chefs de partis politiques québécois qui en formulaient la demande. Je vous invite à lire à ce sujet la mise au point du 3 août 2012 de Pierre Tourangeau intitulée « Débat des chefs : les diffuseurs sont libres de choisir » qui concerne le débat des chefs de 2012. S’il examine l’argumentation et s’intéresse notamment à la portée de l’article 423 de la Loi électorale du Québec. il affirme que celui-ci « ne s’applique donc pas aux débats des chefs, ni à tout autre contenu journalistique ou d’information ». Il ajoute que« le débat des chefs n’est pas organisé par Radio-Canada, mais par un consortium dont il fait partie avec d’autres télédiffuseurs » et conclut ainsi : « Je n’ai donc pas l’intention de réviser les plaintes qui portent sur la composition du débat des chefs qui se tiendra dans le cadre de la campagne électorale québécoise en cours ».

Dans une Révision – Débat des chefs élections 2008 (Télévision), la prédécesseure de l’actuel ombudsman Julie Mivillle-Dechêne statuait quant à elle sur une plainte et concluait au sujet du débat des chefs organisé par Radio-Canada dans le cadre de la campagne électorale de 2008 : « En vertu de la liberté de presse, les médias, comme Radio-Canada, sont libres de choisir les participants à un débat des chefs en autant que ce choix soit équitable. Les chefs de partis politiques n’ont pas l’obligation de participer aux débats organisés par les médias. L’absence des chefs du Parti vert et de Québec solidaire au débat des chefs, qui doit se dérouler le 25 novembre, ne constitue pas en soi un manquement au principe d’équité ». Elle ajoutait par ailleurs : « Toutefois, étant donné la sensibilité de plus en plus grande de l’opinion publique canadienne à ce qui est perçu comme de l’exclusion, étant donné l’évolution du contexte social et politique, il serait souhaitable de penser à de nouvelles façons plus transparentes de faire ces choix ». Des commentaires analogues avaient d’ailleurs été formulés par Renaud Gilbert- le prédécesseur de Julie Miville-Dechêne- dans la réponse de celui-ci à une pétition dans laquelle il était  demandé à Radio-Canada d’inviter également Québec solidaire et le Parti vert du Québec au débat organisé dans le cadre de la campagne électorale de 2007.

J’anticipe avec impatience le jugement que rendra la Cour supérieure du Québec au sujet de la requête de Jean-Martin Aussant. Un juge audacieux pourrait vouloir être sensible aux préoccupations d’équité et de transparence évoquées par Julie Miville-Dechêne et Renaud Gilbert, mais un juge qui le serait moins pourrait appliquer ce qui ressemble à une jurisprudence constante sur cette question!

Des capsules humoristiques du Collectif Projet 4 septembre

Après avoir visionné le débat sur « La santé » et lu mon commentaire d’arrêts fort sérieux, sans doute trouverez-vous les deux premières capsules humoristiques préparées par le Collectif Projet 4 septembre fort amusantes. Je vous invite à apprécier les entrevues effectuées par Marie-Anne Du-Saut avec Léo Bureau-Blouin et avec Céline Dion ! D’autres capsules sont en préparation et devraient mettre en vedette Bernard Landry, Jean Chrétien, Pauline Marois, Jean Charest, François Legault et des personnages fictifs de séries télé.

Après vous avoir entretenu aujourd’hui des débats, j’ai l’intention de vous parler demain des candidats !

Bonne fin de journée électorale!