La damnation de Faust d’Hector Berlioz : Julie Boulianne donne une nouvelle identité à la production de Robert Lepage

29 juillet 2013
(No 2013-29)


Julie Boulianne
La Damnation de Faust d’Hector Berlioz
Festival d’opéra de Québec, 2013

Le troisième Festival d’opéra de Québec s’est ouvert de façon dramatique avec la légende de Goethe mise en musique dans La damnation de Faust par Hector Berlioz. Et comme pour les opéras Le Rossignol et autres fables et The Tempest de Thomas Ades présentés lors de deux premier festivals, la magie de Robert Lepage a opéré, tout comme la scénographie qui était cette fois-ci de Carl Filion. L’alchimiste de l’art lyrique qu’est devenu le grand metteur en scène québécois et son fidèle collaborateur a séduit à nouveau le public de la capitale nationale en transformant, comme il l’avait fait pour les publics du Japon, de Paris et de New York, l’« œuvre pour orchestre avec accompagnement de voix » en véritable œuvre de théâtre lyrique.

Cette transformation est rendue spectaculaire par l’imposante structure divisée en 24 cubicules de forme rectangulaire qui servent notamment d’écrans de projection d’images qui soutiennent l’action et créent les transitions entre les 20 scènes de l’opéra de Berlioz. Le recours par l’équipe d’Ex Machina aux technologies cinématographiques de pointe permet de nous retrouver en outre, et dès le début de l’opéra, dans la bibliothèque infinie de Faust, de voir ensuite de multiples Christ en croix lors de la scène de Pâques, de nous transporter aussi sur l’Elbe où glisse la barque de Mephisto et de vivre la course à l’abîme sur des images inspirées par la décomposition du galop du photographe Eadweard Muybridge. Les parois verticales de la structure deviennent quant à elles des voies où circulent des acrobates qui sont tantôt des démons, tantôt des soldats. Bien qu’ils peuvent parfois distraire, les éléments visuels de la production, conçus par Boris Firquet et Holger Förterer, facilitent la compréhension d’une trame narrative aux éléments parfois épars.

Dans la remise en scène effectuée de Nelson Vignola, les prestations dramatiques des trois protagonistes de l’opéra que sont Faust, Méphistophélès et Marguerite témoignent de la qualité de la direction d’acteurs effectuée pour la production de Québec. Leur interaction avec les figurants et figurantes ainsi qu’avec les choristes font que l’opéra est en constant mouvement. Ce que la mise scène ne semble pas avoir réussi par ailleurs est de donner au chœur dans son ensemble une telle unité au plan dramatique qu’il aurait été permis de les percevoir, comme le souhaitait Berlioz, comme de véritables personnages de l’opéra. Cela en va autrement pour les danseurs et danseuses dont l’intégration à l’action, par les ingénieuses chorégraphies de Johanne Madore, est fort réussie. Parmi les éléments de mise en scène qui donnent une cohésion à l’œuvre et la charge d’un symbole fort se trouvent ces montée et descente de l’échelle par Faust et Marguerite lors des première et dernière scène de l’opéra. Les éclairages de Sonoyo Nihikawa sont sobres et agissent souvent en complément des images qui participent en eux-mêmes à une production qui s’appuie de façon significative sur la lumière. Quant aux costumes de Karine Erskine, ils se marient bien à la trame visuelle de la production, mais il est difficile de passer sous silence celui de Méphistophélès, fait d’un cuir rougeâtre et qui comporte un chapeau à plumes (qui n’est pas rappeler celui d’Astérix)…et qui ne fait de toute évidence pas l’unanimité !

Quant aux performances vocales de la « jeune distribution », John Relyea donne le ton à l’opéra dès sa première apparition au début de la cinquième scène  Mis en valeur jusqu’à la fin de la production, la basse prête au rôle une voix juste et maîtrisée et fait montre d’une grande intelligence musicale. Il n’oublie jamais que le personnage suppose qu’il doit personnifier, par la voix, un être rusé et satanique, qu’il doit avoir le diable dans la voix !  Julie Boulianne donne quant à elle une identité nouvelle à la production de Robert Lepage. Dans cette prise d’un rôle qu’avait interprété avant elle les deux grandes mezzo-sopranos Susan Graham et Jennifer Larmore, elle offre l’une des plus belles performances de sa jeune carrière, tant au plan dramatique qu’au plan musical. En font foi son interprétation des deux grands airs de Marguerite, la chanson gothique Le roi de Thulé et la romance D’amour, l’ardente flamme. Tout en sobriété, le phrasé est en nuances et la diction impeccable. Gordon Gietz n’a pas su donner à Faust la crédibilité que l’on recherche de ce personnage complexe. Dès la première scène et après une descente maladroite de la grande échelle, la voix est déjà chancelante dans l’air Le vieil hiver a fait place au printemps et les choses ne s’améliorent guère tout au long de l’opéra. On se met à regretter l’absence d’un ténor qui, comme Frédéric Antoun, avait excellé dans The Tempest l’an dernier, et aurait pu, en sa qualité de ténor lyrique « français », être un bien meilleur partenaire pour Julie Boulianne et John Relyea. Quant à Alexandre Sylvestre, son passage da la cave d’Auerbach à Leipzig et son air de Brander laisse plutôt indifférents.


John Relyea (Mephistophélès)
La Damnation de Faust d’Hector Berlioz
Festival d’opéra de Québec, 2013

S’agissant de la direction par Giuseppe Grazioli de l’Orchestre symphonique de Québec, elle n’est pas sans failles et les problèmes de synchronisation avec le chœur seront apparents dès La ronde des paysans de la première scène. Le dialogue entre les instrumentistes et les choristes, préparée par Réal Toupin, connaît une amélioration tout au long de l’opéra, la scène finale durant laquelle un choeur d’enfants, dirigé quant à lui par Céline Binet, se joint au chœur  (des esprits célestes) offrant l’un des beaux moments musicaux de la soirée. L’écriture instrumentale de Berlioz, tantôt tonitruante (La Marche hongroise), tantôt pensive et éthérée (Dors! Heureux Faust!), ne connaît sans doute pas une direction aussi subtile que celle de James Levine dans la production de New York, mais certains accompagnements sont dignes de mention- tel celui de l’air Le Roi de Thulé- et créent l’émotion.


Scène finale
La Damnation de Faust d’Hector Berlioz
Festival d’opéra de Québec, 2013

Avec la présentation de La Damnation de Faust, le Festival d’opéra de Québec ajoute une pierre à ce bel édifice lyrique qui se construit, comme aime à le dire on directeur Grégoire Legendre, « en montant une marche à la fois ». Le départ du troisième festival est à cet égard très réussi et deux autres représentations de La damnation de Faust, prévues pour le lundi 29 juillet et le mercredi 31 juillet 2013, permettront aux opéraphiles du Québec d’être des témoins privilégiés d’une autre grande composition lyrique de Robert Lepage…qui fait honneur à l’œuvre poétique d’Hector Berlioz.

Pour lire d’autres compte-rendu de la première de La damnation de Faust, je vous invite à lire la critique de Richard Boisvert publiée dans Le Soleil du 27 juillet et La Presse du 29 juillet 2013 sous le titre « La damnation de Faust- Le meilleur compromis » ainsi que celle de Christophe Huss intitulée « Opéra- Un Lepage à toute épreuve » et parue dans Le Devoir du 27 juillet 2013 (précédée d’un court texte paru la veille sous le titre « La damnation de Faust à Québec- Robert Lepage prophète en son pays »). Je vous suggère également de prendre connaissance de l’article publié dans La Presse de ce matin (« Arts- Année chargée pour Robert Lepage ») et dans lequel Gilles G. Lamontagne commente brièvement La damnation de Faust et s’intéresse aux projets de son metteur en scène. Voir aussi l’article d’Erwan Bonnette diffusé le 26 juillet 2013 dans le Huffington Post-Québec sous le titre « Le Festival d’Opéra de Québec lancé de façon grandiose ».

J’ai eu le plaisir d’effectuer la Randolyrique avec le « ténor nature » Vincent Karche avant la première de La damnation de Faust et je la commenterai dans le prochain article du blogue lyrique. Je serai de retour dans la capitale nationale demain le 30 juillet 2013 pour assister à l’événement Musique en plein air Maison Hamel-Bruneau ainsi qu’à l’Apéro concert : Paris en scène à la Chapelle du Musée de l’Amérique francophone.

Bon début de semaine… lyrique !

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