The Tempest ou l’imagination de Robert Lepage au service du lyrisme Thomas Adès : un autre immense succès pour le Festival d’opéra de Québec
28 juillet 2012
(No 2012-31)
The Tempest de Thomas Ades, Acte 1
Festival d’opéra de Québec, 2012
Après un concert d’ouverture fort réussi avec Karina Gauvin, Les Violons du Roy et leur chef Bernard Labadie, le Festival d’opéra de Québec faisait le pari audacieux de présenter à son public un opéra du XXIe siècle : The Tempest de Thomas Adès sur un livre de Meredith Oakes d’après la pièce de William Shakespeare. Non seulement le pari fut-il réussi au plan populaire comme en fait foi cette première soirée à guichets fermés qui en annonce d’autres, mais il l’est aussi- et de façon fort éloquente- sur le plan artistique. Ce succès est sans contredit le résultat du travail de celui qui comprend aujourd’hui, mieux que quiconque sur la planète opéra, ce qu’est l’art total. Robert Lepage, soutenu par sa formidable équipe d’Ex Machina, a mis une fois de plus son imagination au service de l’opéra, et du lyrisme qui caractérise la musique, aussi moderne soit-elle, d’Adès. Le scénographe québécois réussit à rendre la musique éthérée du compositeur britannique accessible en aménageant autour d’elle- sans jamais nous en distraire- des éléments scénographiques diversifiés. Faisant appel aux arts du cirque, à la danse et au théâtre d’ombres- qui n’était sans nous rappeler, dans ce dernier cas, Le Rossignol et les autres fables d’Igor Stravinsky qui avait inauguré le premier Festival d’opéra en 2011- Robert Lepage réussit à véritablement à construire une intrigue lyrique.
Cette intrigue est aussi bien servie par la librettiste Meredith Oakes qui simplifie, tout en respectant l’essence, le texte de Shakespeare. Elle peut d’ailleurs être fort bien suivie par le public de la salle Louis-Fréchette qui peut lire- à l’aide de l’ingénieux dispositif technique présentant sous forme de sous-titres- la traduction française du livret. Du premier acte où les personnages principaux sont introduits jusqu’au troisième où se produit le dénouement de l’intrigue, la direction d’acteurs et d’actrices de Robert Lepage- qu’on lui avait reproché de négliger pour son Ring du Metropolitain Opera, est efficace. Le caractère à la fois intime et énigmatique de la relation entre Prospero et sa fille Miranda est fort bien décrit dès les premiers moments de l’opéra, comme l’est aussi le rapport qu’entretient le duc déchu de Milan avec cette créature surnaturelle qu’est Ariel ou avec l’esclave Caliban. Il en va de même avec les personnages du clan ennemi qui, d’Antonio, son frère l’usurpateur, à d’Alonso, Roi de Naples et Sebastian son frère, donnent l’occasion à Robert Lepage d’illustrer habilement les thèmes du pouvoir, de la vengeance et du pardon qui parcourent le texte de Shakespeare. Sans doute, le moment théâtral le plus réussi est celui du troisième et dernier acte où le metteur en scène conjugue intelligemment les éléments scéniques, et en particulier ce troisième décor du Teatro della Scala dans lequel il insère le spectateur, pour nous faire croire au triomphe de l’amour et aux vertus de la réconcialition.
Frédéric Antoun (Caliban) et Rod Gilfry (Prospero)
Le succès d’une telle production repose aussi sur les interprètes et l’on comprend pourquoi Grégoire Legendre avait affirmé lors de la conférence de presse du 17 juillet 2012 que la distribution rassemblée pour la pièce de résistance du deuxième festival était impressionnante. J’ai particulièrement apprécié quant à moi la prestation du baryton Rod Gilfry dans le rôle de Prospero. La voix était juste et puissante, et il a su s’imposer au plan dramatique tout au long d’un opéra qui requerrait sa présence continue sur scène. La performance d’Audrey Luna dans le rôle d’Ariel est remarquable et celle-ci subit avec succès le test de la partition extrêmement exigeante de Thomas Adès. Son interprétation de l’air Full fathoms five au premier acte est époustouflante et traduit très bien l’immatérialité de son personnage. Dans son rôle de Miranda, la soprano Julie Boulianne offre également une prestation vocale de qualité. Si sa maîtrise de la langue anglaise n’est pas évidente sur la ligne de départ, celle-ci s’améliore tout au long de l’opéra et elle fait preuve d’une souplesse vocale qui lui permet d’évoquer le caractère aussi fragile qu’attachant de son personnage. Dans son incarnation de Ferdinand, fils du roi de Naples, celui à qui Prospero cédera sa fille, Antonio Figueroa tire aussi son épingle du jeu…lyrique. L’autre ténor québécois de la distribution, Frédéric Antoun, surprend dans son interprétation du personnage de Caliban et livre sans doute l’une des plus belles performances de sa jeune carrière lyrique. Il calibre bien sa voix pour traduire cette identité mi-bête et mi-homme qu’est la sienne et s’illustre, dès le premier acte, dans ce rapport avec le mi-dieu et le mi-homme avec Prospero qui lui rappellera sa condition en lu donnant l’ordre « Abhorrent slave/ Go to your cave ». La prestation de Joseph Rouleau ne passe pas non plus inaperçu et celui-ci se tire fort bien d’affaires dans son rôle de Gonzalo. Notre basse nationale mérite cette place sur nos scènes et Grégoire Legendre, comme l’ont fait plus tôt durant la dernière saison lyrique les directions de l’Atelier d’opéra de Montréal et de la Société d’art lyrique du Royaume, a su reconnaître ce talent durable. Le contre-ténor Daniel Taylor, la basse Kevin Burdette (Stefano) ainsi que les ténors Gregory Dahl (Sebastian) et Gregory Schmidt (Roi de Naples) complètent une distribution qui se révèle d’une grande qualité d’ensemble. Les membres du Chœur de l’Opéra de Québec font également honneur à la musique de Thomas Adès qui réserve d’ailleurs au chœur un rôle de premier plan dans son opéra.
Paraissant épuisé lorsque qu’il se présente sur scène pour recevoir les applaudissements de son public québécois, le chef Thomas Adès semble fier de la prestation de l’Orchestre symphonique de Québec. Les instrumentistes ont de toute évidence relevé les défis multiples de cette exigeante partition, comme en fait notamment foi leur interprétation du magnifique prélude du troisième acte et du quinttette de la scène du festin.
The Tempest est aussi un spectacle réussi en raison de la créativité des multiples concepteurs et conceptrices dont s’est entouré Robert Lepage pour cette production. Une mention toute particulière va à la scénographe québécoise Jasmine Catudal dont les décors ont rendu la production magique. Le décor du début du troisième acte qu’a éclairé et fait scintiller de façon ingénieuse Michel Beaulieu est aussi digne de mention. Les chorégraphies de Crystal Pite, les costumes de Kym Barrett et les images David Leclerc contribuent aussi à faire de cet production un spectacle « total ».
The Tempest de Thomas Adès, acte 3
Festival d’opéra de Québec
Photographie : Louise Leblanc, Le Devoir, 2012
Grégoire Legendre et son équipe avaient créé des grandes attentes pour cette production du Festival d’opéra de Québec. Elles ont été comblées et tout opéraphile devrait vouloir être témoin de l’expérience The Tempest. Une deuxième représentation est prévue en ce samedi 28 juillet 2012 et les troisième et quatrième (et dernière) auront lieu les 30 juillet et 1er août 2012 à 20 h à la salle Louis-Fréchette du Grand Théâtre de Québec. Si vous avez l’imprudence d’attendre trop longtemps, vous devrez alors vous rendre au Metropolitan Opera de New York ou au Wien Staatsoper pour apprécier le travail de « notre » Robert Lepage.
Pour d’autres vues sur la première de The Tempest, je vous invite à lire la critique publiée ce matin par le critique Christophe Huss, « Festival Opéra de Québec – Tranche de vies », Le Devoir, 28 juillet 2012, p. C-6 ainsi que celle d’Arthur Kaptainis, « Lepage’s take on Tempest a little too theatrical », The Gazette, 29 juillet 2012, p. E-5. Voir aussi les commentaires d’Éric Moreault, « La tempête : une splendide réussite », Le Soleil, 27 juillet 2012 (repris dans La Presse, 28 juillets, p. Arts-2) et d’Yves Leclerc, « La tempête Lepage a frappé fort », Journal de Québec, 27 juillet 2012.
Je serai de retour à Québec lundi pour poursuivre ma couverture du festival et assister à la deuxième représentation de Nelligan d’André Gagnon et Michel Tremblay mardi le 31 juillet et à la quatrième et dernière représentation du proto-opéra Le jeu de Robin et de Marion d’Adam de la Halles. Je compte également aller entendre l’un des deux concerts de Musique en plein air le mardi le 21 juillet également et saluer les jeunes artistes de la Brigade lyrique qui continueront de sillonner les parcs et autres lieux publics de la capitale nationale jusqu’à la fin du festival.
Je vous rappelle que l’animatrice Sylvia L’Écuyer – avec laquelle j’ai notamment eu un le plaisir d’assister à Tangopéra jeudi dernier, présentera sur les ondes d’Espace musique un édition spéciale de son émission estivale « L’opéra comme un roman » demain le dimanche 29 juillet 2012 de 20 h à 23 h. Elle proposera des entrevues avec Thomas Adès, Robert Lepage, Julie Boulianne et Antonio Figueroa. Elle diffusera également le concert de la Brigade Lyrique enregistré aujourd’hui dans la cour du Séminaire de Québec. Seront également diffusés deux autres opéras inspirés par The Tempest de William Shakespeare. D’abord, The Tempest d’Henry Purcell ainsi que la sixième partie de la suite Lelio d’Hector Berlioz présentée par le compositeur comme la Fantaisie sur « La Tempête » de Shakespeare.
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Dans quelques heures, je serai à l’amphithéâtre Fernand-Lindsay pour assister au deuxième concert de la Journée Beethoven présenté au Festival international de Lanaudière aujourd’hui avec l’Orchestre métropolitain et son chef Yannick Nézet-Séguin. J’anticipe le plaisir d’entendre Marianne Fiset, Mireille Lebel, Isaiah Bell et Alexandre Sylvestre chanter dans la Messe en do majeur op. 86.
Bonne fin de semaine lyrique … le blogue lyrique sera de retour mardi prochain avec une entrevue avec la scénographe Jasmine Catudal avec laquelle il sera question de son initiation à l’opéra par The Tempest…que je reverrai d’ailleurs lundi soir !
PS Sur une note d’humour et inspiré par l’étonnante prestation musicale de Mr Bean au sein d’un London Symphony Orchestra dirigé par Simon Rattle dans l’interprétation du thème instrument du film Chariots of Fire (Les chariots de feu) (1981) lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres que vous pourrez visionner en cliquant ici, je vous invite à écouter le même Mr Bean interpréter un grand air du répertoire lyrique. Il s’agit du célèbre air O mio babbino caro tiré de l’opéra Gianni Schicchi de Giacomo Puccini que Mr Bean, en se transformant en la fille de Gianni Schichi Lauretta, chante en « lip sync » dans le film Mr Bean’s Holiday (Les vacances de Mr Bean) (2007). Il emprunte la voix de la soprano Rita Streich accompagnée par le Deutsche Oper Berlin Orkest dirigé par Reinhard Peters et paru sur étiquette Deutsche Grammophon en 1966. Pour visionner cette autre performance musicale de Mr. Bean, cliquez ici.
Mr Bean aux Jeux olympiques de Londres de 2012
et dans l’air O mio babbino caro de l’opéra Gianni Schichi de Giacomo Puccini